Tourne tourne tourne.
Assise sur la chaise de bureau aux petites fleurs blanches, une jambe repliée sur l’accoudoir à peine défoncé et l’autre dans le vie, Diana tourne. Un crayon de papier dans la bouche, porteur de nombreuses marques de crocs – ses incisives y sont totalement pour quelque chose dans ce massage – trahit une réflexion profonde. Sur le bureau devant elle, quatre livres sont agrémentés d’environ une cinquantaine de post-its plus ou moins remplis, allant du simple ici aux notes extensives sur une espère de chauve-souris dont les ultrasons ne sont pas foutus de traverser les murs et de rendre les gens malades.
Un coup de pied sur le sol. Tourne tourne tourne.

Elle voudrait trouver quelque chose de plus productif à faire, un gâteau, une peinture, lire un bouquin intéressant ou apprendre le crochet, mais elle a promis qu’elle résoudrait le souci d’organisation qui, aujourd’hui encore, pèse sur ses minces épaules un peu couturées. Et quoi de mieux pour résoudre un problème insoluble que de tourner sur sa chaise à s’en donner la gerbe ? Elle finira bien ainsi par produire quelque chose, même si ça n’aura rien à voir avec le résultat escompté !

A mi-chemin pour son septième tour en folie, tandis que son regard dérive sur la fenêtre entrouverte (par laquelle sa future crève se faufile, c’est certain), celle qui ne fut jamais princesse se stoppe. Évidemment, la solution se trouvait dans les nuages bas qui s’amoncellent de l’autre côté du carreau ! Attrapant son portable, elle laisse un message vocal à celui pour lequel elle travaille.
« J’ai tout compris, cette fois. J’ai du cake, du café, et des papiers pour toi. Tu as encore deux heures, et dans deux heures, si t’es pas là, je les passe au broyeur.  »


On n’était jamais assez trop prudent.
Evidemment, Diana ne mettrait ni la nourriture, ni le filtre à café, dans le broyeur à papier qu’elle stockait précieusement dans son cagibi. Juste le brief d’organisation de la future cible de son frère…. Qu’elle n’avait, pas vraiment, encore rédigé. Mais deux heures seraient suffisantes… Et, au pire, elle compléterait avec des dessins. A peine quarante minutes plus tard, l’imprimante se met à cracher quelques pages brûlantes que l’Oracle en devenir récupère d’une main experte avant de les ranger dans une pochette.


Elle a promis un cake. Ce serait bien qu’elle s’y mette, non ?
A grands renforts de grimaces,de pseudo-motivation et de souvenirs d’une recette qu’elle n’a, de toute manière, pas écrite, la jeune femme réchauffe une pâte toute prête dans un moule en forme de cake. Après tout, dans aucun message n’a-t-elle promis un gâteau 100 % de sa fabrication. Elle l’a fait cuire.
C’est bien assez, non ? Un cran au dessus de la livraison.


Attendent alors sur la table la sonnette fatidique : deux tasses vides, une bouilloire fumante, une cafetière engagée, un cake à peine démoulé et deux briefings plus ou moins complets. Oh et deux assiettes à liséré rose trouvées à moins cinquante pour cent dans une brocante. On vit souvent de bric et de broc.

Diana contemple d’un œil satisfait le gâteau étalé devant elle. Etalé est le terme correct : comment pourrait-on décrire autrement cet essai plus qu’intéressant culinairement. Le cake, une fois sorti de son moule de téflon – acier – elle ne sait pas vraiment en quoi est fait un moule à gâteau mais on ne peut pas s’en servir contre les fantômes – a trouvé fort intelligent de s’aplatir alors que passaient les minutes. Un regard vers la bouilloire et hop ! Deux centimètres de moins.
Et en deux heures, le gâteau némésis a eu le temps de ressembler peu ou prou à une crêpe…. Crêpe qui ne donne pas vraiment envie malgré les pépites de caramel dont la brune a saupoudré le dessus pour cacher la misère.
Elle ne serait pas une tante gâteau, tant pis. Elle pourrait apprendre l’organisation et l’utilisation d’un code couleur décliné en dix-sept post-it, c’est déjà un beau cadeau dans la vie – bien plus utile qu’un gâteau.

Un écouteur filaire enfoncé au fond de l’oreille gauche, la droite libre pour pouvoir entendre tout mouvement ou autre provenant de la porte, elle ne lève même pas la tête quand son frère s’annonce. « Il fait plus frisbee qu’autre chose, le cake. Je pense que ça fait mal un frisbee dans la figure et j’ai besoin que tu sois d’attaque. » répondit-elle. Elle referme l’application de son téléphone, laissant sa série en pause en pleine phrase. De toute manière, ça ne volait pas bien haut, mais kudos à la production et au reste du monde, apparemment, pour toujours croire que dormir ne foutait pas en l’air les cheveux de n’importe qui.
La brune se lève et s’étire avec un sourire. Le craquement de ses os résonne à travers la pièce, léger parmi le ronronnement du frigo et de la console en veille ; néanmoins, on l’entend. Elle ne s’en formalise pas. « Je prends un café, annonce-t-elle derechef, tu veux quoi ? Avec le frisbee. »

Le frisbee est fait, il faut le manger. La prochaine fois, il ne faudra juste pas oublier la levure.

Dans un coin de la pièce, sur la console déjà un peu encombrée, Diana a eu le temps de rapatrier ses notes et quelques feuilles volantes où se glissent des plans d’une précision clairement illégale, entre Seattle et Fate Hill. Le livre par-dessus lui sert plus de presse-papier que de référence : il y a bien longtemps que les sources imprimées pour le relativement grand public ne sont plus d’aucune utilité à la communauté des chasseurs. Il faut se tourner vers les ouvrages les plus anciens et les média perdus ; et dans ce genre de livres on ne gribouille pas ses pensées ou ses pistes. « Tu peux regarder si tu veux, je t’ai posé tout ça là bas. » La cadette indique du menton la console grinçante tout en remplissant sa tasse à ras bord. « Si tu as du mal avec le code couleur… J’ai tenté d’être concise, il n’y a que huit teintes. »