I. La mère.

Cette mère que l'on exècre, qu'on a toujours pensé aussi aliénée que grand-mère, qui faute au tournant de ses douze ans, pour une bagarre qui aurait mal tourné, où il a pété un nez et où on lui a décalé le poignet. Gosse expédié en pension, prison pour jeunes délinquants. Là où il ne trouvera jamais sa place véritable, où on le violentera pour façonner ses stigmates, alimenter ses scélérats. Jamais il ne la pardonnera, promesse faite en-tête à tête avec son diable, minuit moins le quart dans le fond d'un placard, le noir pour cajoler ses cauchemars. Il cramera les photos où son visage se dessine et plus jamais ne daignera la regarder. Et durant ces repas qu'il faut toujours se coltiner, elle lui apparaît comme une peinture diaphane dont on voudrait déchirer la toile.

II. La jumelle.

Le parallèle qu'on adule, qu'on ne voudrait jamais voir s'effacer. Cette jolie poupée à la peau nacrée, ces éphélides partagées que gamins, ils s'amusaient à dénombrer. Ça semblait immuable et pourtant, un jour de printemps, tout a basculé. La lumière qu'elle lui procurait s'est essoufflé et bientôt, il ne lui resta plus que les ténèbres et les secrets pour se consoler. Et les mensonges qui s'amoncellent, forment une croûte impossible à cicatriser, vilipendent les tentatives de vérités pour toujours plus envenimer les affectivités. Ces sensations si souvent éprouvées, jamais identifiées, qu'on lui dissimula durant des années, dont elle le priva pour mieux s'approprier le pouvoir tout entier.
Et comment lui pardonner, maintenant qu'elle lui avait tout pris, de son identité à sa liberté ?

III. La pièce rapportée.

Cette presque étrangère qu'on lui a imposé alors enfant, qui s'est accaparé son binôme atavique, avec laquelle il a toujours tenu à garder ses distances, imposer une claire différence. Les saisons qui défilent et un jour, sans vraiment s'en être rendu compte, cette étrangère a grandi, revient dans sa vie, pique à vif son intérêt, capture l'essence absolue de sa vigilance. Mais voilà qu'elle se fait insolite, comportement insouciant et un poil intrusif, fouine à l'image d'un rongeur dans les recoins de la ville. Alors il l'épie, jeu du chat et de la souris, jusqu'à la surprendre, découvrir l'énigme derrière ses origines. Scellé tacite prend racine, complicité naît des entrailles du secret et l'évidence même perle à la surface de ses vaisseaux. Parce qu'elle hante ses nuits et tapisse ses songes lors de ses entreprises les plus luxueuses. Et l'interdit a comme un goût  de vengeance qu'il ne saurait repousser bien longtemps.

IV. L'adolescence.

Portrait d'un père effacé d'un revers par la dominance écrasante de la mère, ébauche pour l'inspirer de tout ce qu'il ne voudrait pas, qu'on lui broie les couilles avec le sourire narquois. Alors lorsque les hormones se sont mises en marche, il a commencé à changer de visage. Claquer les portes et quitter la table avant la fin du repas, laisser ses fringues à même le sol et cloper en planque sur le rebord de la fenêtre de sa piaule. Il a failli crever aussi, quatorze piges et étonnement, pas lors d'une rixe d'ados aigris. Dysfonction de l'alimentation de l'éther, infection des tissus pulmonaires, une saloperie qui lui laissera à jamais l'empreinte de ses serres. Médication contraignante qu'il associe aujourd'hui avec le fond de ses bières et ses verres de Jack Daniel's, n'en déplaise à sa mère toujours contact d'urgence lorsqu'à trois heures du matin, on l'appelle pour signaler un incident et l'hospitalisation de son raté de rejeton.

V. L'internat.

Cage orageuse aux barreaux mordorés imposée, treize années et oisillon sacrifié. De jouvenceaux elle était bondée, jusqu'au glas leurs rires l'ont dégradé, de ses doigts sa peau il aurait voulu arracher. Des heures à longer les murs en priant pour son simulacre, qu'on défonce son crâne et qu'on calfeutre à jamais les couloirs. Des secondes dessinées aux craquelures de ses gerçures, des mines écrasées sous les satires de ses martyrs. Le gong de la cloche à jamais imprimée, ces nuits froides à se planquer dans le placard de l'entrée, dans un casier défoncé, dans une poubelle éventrée. Les week-ends pour respirer, apprendre à sourire avec la merde entre les canines, gonfler la poitrine pour ne pas finir châtré. Incarcérer le pourri dans le subliminal de son ectoplasme, ravaler chaque centimètre carré de cauchemar, de ces doigts qui l'ont stigmatisé, de ces virilités qui l'ont fracturé. Sept années pour s'asphyxier, la vie entière pour agoniser.

VI. Les débordements.

Prémices puisées dans les tréfonds des nuits volées, suspendu aux barreaux de la cage où trois autres adonis sommeillaient, fumée toxique s'enroulant de ses doigts à son nez. S'envenime lors de libertés plus actées, bouteille planquée dans un sac en papier, dilué dans la brique de lait, parfum ébriété. Commence à s'en foutre plein le nez avant la majorité, les week-ends pour déconner, tombe dans le vice aussi vieux que les putains arpentent les allées, opiacés pour l'annihiler. La violence pour tout couronner, badigeonner d'acrimonie les hères fielleux de la société, taillader leurs parodie enflammées et exposer au monde tous ses crève-cœurs. S'entailler les artères, s'assécher jusqu'au trois battements par minute, et réactiver l'enfer éternel, refermer autour de son cadavre presque froid, la condamnation de la mère, la compétition héréditaire.

VII. Le retour.

Fin du calvaire à l'été deux-mille-dix-huit, ou début d'un nouvel enfer. Celui où toujours plus s'effacer, où laisser l'ascendant briller, gémellité encombrante et humiliante. Déambulation du spectre infernal, s'écroule au détour d'une impasse crasse et tire à la courte-paille une pute du trottoir d'en face. Décèle anomalie dans son propre système, perception étrange traverse la viande, démange les tendons et ponctionne la force. Curiosité s'amorce et études se font obsédantes, réponses floues après lesquelles il galope menacent tôt ou tard de le rendre fou, d'asseoir Lucifer dans ses bribes convulsant de lumière.

Parce que le Malin sourit dans son estompé,
Se découpe dans les stries de son anatomie.