A l’origine, ça partait d’une bonne idée, cette affaire. Les livres étant rendus à la bibliothèque la plupart du temps, traquer à partir d’adresses écrites au dos de vieux bouts de papier cornés les véritables voleurs avait semblé être une idée fantastique… Si l’on avait du temps, de l’énergie, et de la bonne volonté à y consacrer. Lorsque Diana avait suggéré ça, au cours d’une réunion presque trop ennuyeuse, entre le café et la pause clope ou chewing-gum à l’arrière de bâtiment, elle ne s’attendait pas à ce que tout le monde la regarde comme si elle avait découvert un nouveau principe de physique. C’était pourtant pas si idiot que ça, après tout : d’une manière ou d’une autre, et malgré l’état déplorable de la base de données derrière leur système datant d’avant Mathusalem, l’adresse de toutes les personnes ayant emprunté un livre se trouvait quelque part. Et si au bout de trois courriers, quinze relances téléphoniques, douze emails (pour les plus acharnés, et les plus modernes), aucune réponse ne revenait…
Eh bien, autant aller frapper directement chez les gens, non ?

Bon, Diana le reconnaissait elle-même : elle avait peut-être, dans sa jeunesse, oublié de rendre un livre plus d’une fois. Ou l’avait rendu en retard. Ou un peu plus corné qu’à la base, faisant partie de ces personnes incapables d’employer un marque-page décent. Mais elle avait toujours mis un point d’honneur à rembourser la somme demandée – ou à faire porter le chapeau à l’une de ses amies. En bref : à couvrir ses traces.

L’idée aux allures de petite révolution (sus aux voleurs de bouquins comme un MAGA brandi avec fierté par ses collègues) n’avait pas pris trop longtemps à être acceptée, sous plusieurs conditions. Pas d’agressivité, pas d’effraction, pas de violence. On prenait des nouvelles, agréablement, et l’on repartait.
Et, bien entendu, la brune Miller fut dépêchée pour cette mission capitale… Simplement car qui de mieux que son instigatrice pour exécuter cette mission ?

Elle soupçonnait légèrement ses nouveaux compagnons de fortune, coincés cinq jours sur sept avec elle, du mardi au samedi dans le meilleur des mondes, de l’avoir fait pour se débarrasser de l’anglaise à l’accent chaud qui ne faisait plus sourire.
Pas qu’elle leur en veuille : faire le tour de l’île lui permettrait de se repérer plus aisément sans avoir l’air de passer pour une fouine sans vergogne – ce qu’elle était tout de même – et la laisserait libre de s’arrêter quelques minutes si ses blessures la faisaient souffrir, ce dont elle n’avait pas le loisir lorsqu’elle travaillait au bureau. En même temps, elle n’en avait pas parlé à son entretien. Deux ans plus tard, et toujours aucune envie de causer des fantômes. (Ils reviendraient, un jour)

Douzième maison de sa troisième tournée. Le soleil commençait à décliner à l’horizon, et la jeune femme lâcha une prière silencieuse dans son esprit avant de toquer à la porte d’une main décidée. Elle tenait contre elle sa planchette et son bic Animal Crossing, ne laissant entrevoir que les feuilles semblables à celles d’une pétition. De loin, de près, de dos et de face, elle avait tout de la vendeuse à domicile en plein démarchage… Ce qui était sans doute la raison pour laquelle on ne lui ouvrait que peu la porte.
« Je ne vends pas des assurances ni rien... Promis... Allez, s'il vous plaît... » murmura la brune entre ses dents, vérifiant l'adresse sur la carte plastifiée.