the nothing i've become

Les rires macabres de la horde de vampires retentissaient encore dans ses oreilles quand elle ouvrit les yeux en sursautant. Respirant profondément, une main sur la poitrine, elle tourna la tête sur le côté, distinguant dans la pénombre le doux visage de Victor à côté du sien. Le blond était bien la seule chose positive qu'elle avait dans sa vie. Mais en ce jour maudit du 7 février, était-ce vraiment suffisant ? Délicatement, elle se dégagea du bras qu'il avait passé par dessus elle, veillant à ne pas le réveiller, et sortit du lit. Elle se coula souplement entre les perles du rideau la séparant de l'autre pièce, jetant un dernier regard à l'homme qui partageait sa chambre et sa vie.

Sans bruit, aussi discrète qu'une ombre, elle sortit une bouteille de tequila du placard et se lova dans un fauteuil, genoux remontés contre la poitrine. Elle n'avait même pas pris la peine de sortir un verre, le goulot lui semblait plus attrayant. Puis une idée sombre qui s'insinua dans son esprit. Elle se souvint d'un bocal de pilules dont elle avait oublié le nom, qui devait traîner dans un tiroir de la cuisine. Des antidouleurs puissants. Son frère cadet en avait pris autrefois à cause d'une blessure au genou faite au football. Si elle ne se trompait pas, ils avaient les mêmes au bungalow. Elle ne savait pas d'où ils venaient, mais elle savait qu'ils étaient là. Et en cette nuit, elle avait beaucoup de douleur à revendre. Abandonnant sa bouteille sur la table du salon, elle se leva à nouveau et entreprit de fouiller les tiroirs sans faire de bruit, jusqu'à trouver l'objet de son désir. La fameuse bouteille de pilules. Un briquet était présent dans le même tiroir, et elle s'en saisit aussi.

Elle retourna s'assoir dans son fauteuil, pris une grande gorgée de liquide ambré et ouvrit le bocal.  Une autre lampée de tequila fit descendre les cinq dernières pilules dans son gosier. Une de plus pour la route, ça ne faisait pas de mal. On lui avait toujours dit que mélanger l'alcool et les médicaments n'était pas une idée lumineuse. Mais que faire quand, de toute façon, on vivait dans l'ombre ? L'ombre du passé. L'ombre de la mort. L'ombre de la solitude. À quoi servait alors la lumière ?

Coinçant la bouteille de tequila entre le fauteuil et elle, elle alluma la flamme du briquet et la regarda brûler jusqu'à ce que son doigt s'échauffe. Elle souffla alors sur la flammèche. "Bon anniversaire Sam, te voilà maintenant seule avec tes idées noires" pensa-t-elle. Le briquet se ralluma sous la pression de son doigt et elle passa sa main au dessus de la flamme, comme hypnotisée par sa danse envoûtante. Sa chaleur était presque réconfortante. Avec un soupir, elle glissa la flamme dans la paume de sa main, l'y maintenant même quand la chair commença à rougir.

Parfois, quand elle était seule comme cette nuit, que les yeux clairs de Victor n'étaient pas plongés dans les siens, elle se demandait bien pourquoi il avait pris la peine de la sauver de son triste sort. À part lui, elle n'avait plus rien, plus personne. Elle n'était plus personne. Un poids. C'était bien tout ce qu'elle pouvait admettre être aujourd'hui, et depuis un an. Il ne s'en sortirait que mieux sans le frein qu'elle était après tout.

Elle avait l'impression que son corps entier s'engourdissait. Elle ne ressentait même plus la brûlure du briquet qu'elle maintenait toujours sous sa paume ouverte. Tout autour d'elle s'estompait. Les sons se faisaient plus lointains. Sa vision se brouillait. Elle se sentait comme enveloppée de coton. Apaisée. Elle ne savait plus qui était l'idiot qui lui avait dit qu'il ne fallait pas mélanger alcool et médicaments, mais il avait tort. Elle ne s'était pas sentie aussi bien depuis longtemps.

Ses yeux commençaient à se fermer et elle ne se sentit pas lâcher le briquet. Pas plus qu'elle n'entendit la bouteille de tequila tomber au sol, laissant échapper son précieux contenu sur le tapis coloré. Même la voix de Victor, qui lui parvint étouffée, comme s'il était à des années lumières d'elle, lui semblait sortir d'un rêve dont elle ne voulait pas se réveiller.

- Laisse moi partir avec eux. plaida-t-elle dans un souffle à peine audible.


Mais il ne la laissa pas partir. Elle se réveillerait plus de 90 heures plus tard.